Les corps devancent toujours l’aurore. C’est la levée des corps
Les corps encore poussiéreux sont lessivés par le tambour discontinu des machines. Ils ont tourné toute la journée sans se retourner. Jour après jour, la même litanie les sermonne, les époumone à tenir ferme leur couronne, à garder le rythme, la cadence.
La débauche les conduit inexorablement au café, là où des mains froissées serrent des verres, où des coudes se lèvent pour contrer la lame qui s’élève. C’est l’heure de la saignée, l’instant où la fatigue abat son glaive. Pour autant, ils ne veulent pas abdiquer face aux assauts de cette laborieuse journée. Un baroud d’honneur pour des êtres épuisés, pour certains laminés.
Les voix s’entremêlent, les mots s’entrechoquent et les discussions s’éparpillent. Las, les hommes sont là. Ils reprennent doucement vie dans un flot de pensées monolithiques. Ça tourne toujours autour de la machine, incapable d’en sortir. Dialogues en boucle, conversations par rendement, saturées. Les hommes sont des machines qui parlent de machine. Et le rouge aux lèvres, ce léger dépôt de tannin ne change rien. Ils enchaînent et s’enchaînent. Parfois un fragment se libère dans un phrasé débonnaire. La poésie fonctionne ici à l’essence ordinaire, l’essentiel est fraternel.
Et quand vient le soir, ouvrier sur machine, ouvrière sur machin, elle les rejoint, la peine n’est jamais la même, mais le désespoir commun.